
Le caméléon
Un film de Jean-Paul Salomé
Juin 2010
Le Caméléon, c'est avant tout le surnom donné à Frédéric Bourdin, usurpateur d' identités Français, ayant changé plus de 100 fois d'identité dans plus de 15 pays. Le dernier film de Jean-Paul Salomé se concentre sur une partie du livre de Christophe d'Antonio L'invraisemblable histoire de Frédéric Bourdin. L'histoire commence en Espagne, où un jeune homme déclare s'appeler Nicholas Mark Randall, et avoir été kidnappé 4 ans auparavant, violé et torturé par les membres d'une secte. La sœur du jeune “Nicky” le ramène à la maison, aux États-Unis, alors que la police s'étonne entre-autre de son accent français, et pense à une imposture. Le temps passe et l'agent du FBI Jennifer Johnson essaye d'élucider ce mystère, alimenté par les comportements douteux du jeune homme et de sa famille. Bien que le réalisateur ait essayé de rester le plus fidèle possible à ce chapitre de la vie de Frédéric Bourdin, certains points ont été retravaillés, comme le rapport chat/souris entre le jeune imposteur et l'agent du FBI, et la relation entre Frédéric Bourdin et sa “fausse-mère”. Cela a-t-il été fait au détriment du film où au contraire est-ce que cela a apporté quelque-chose à celui-ci? Les grands admirateurs de polars seront déçus car le film se concentre avant tout sur les relations humaines, le psychologique, les sentiments, l'hésitation. Le fait d'accentuer ces rapports fait donc un peu vaciller le spectateur, qui ne sait pas trop quoi attendre du film. Mais ce point n'est pas spécialement une faiblesse; qui dit enquête dit suspens, et en apportant une touche de suspens au film, il lui donne du piment. De plus, le lien assez fort entre Jennifer Johnson et Frédéric Bourdin, et la confiance que Bourdin semble lui vouer, permettent au spectateur de découvrir peu à peu la psychologie du personnage, ou du moins de s'en construire une interprétation. Car en effet personne ne pourra jamais savoir ce qu'il s'est réellement passé dans la tête de cet usurpateur d'identités. C'est ainsi avec plaisir que l'on découvre un film qui n'a pas la prétention de vouloir nous dévoiler la “vérité” sur Frédéric Bourdin. Le personnage va être trahi aux États-Unis, et usurper l'identité de Nicholas Mark R. lui sera fatal; le choix du réalisateur de se concentrer sur cette partie de sa vie est donc pertinent, et nous offre une peinture du personnage variée: coupable ou victime? Cette sensation de doute est de plus accentuée par le biais d'un point de vue interne: le spectateur "est" Frédéric Bourdin (ou Frédéric Fortin, comme il apparait dans le film).

Il nous faut dorénavant souligner l'importance de la relation mère-fils, ou “fausse-mère/faux-fils”; celle-ci a été un peu exagérée par rapport au livre, mais est si belle dans le film qu'elle nous parait essentielle; le spectateur ne peut être qu'ému par cette relation inhabituelle; après cette douloureuse perte, la mère (Kimberley), réfugiée dans la drogue et dans l'alcool, ne sait que penser du retour de son fils; miracle, ou infortune? Kimberley et Nicky oscillent entre méfiance et affection, et le spectateur bascule à nouveau dans le doute le plus complet, cherchant à comprendre Frédéric Bourdin. Non seulement les dialogues sont justes et donnent presque des frissons, mais les acteurs interprétant la mère et le fils sont éblouissants; Ellen Barkin (Blessures Secrètes, Ocean's 13...) est touchante et effrayante et l'on ne peut qu'admirer sa prestation dans la peau d'une mère désarmée, ayant perdu tout contrôle, maitresse d'une famille anéantie. Une performance qui, aux États-Unis, mériterait incontestablement l'Oscar. Marc-André Grondin ( C.R.A.Z.Y, Le Premier Jour Du Reste De Ta Vie, Bouquet Final...) fait encore preuve de polyvalence en acceptant un rôle très différent de ses précédents; La ressemblance physique avec le véritable Frédéric Bourdin est loin d'être bluffante, mais les yeux de l'acteur expriment parfaitement la détresse, la malice, la peur de ce personnage si changeant et incompréhensible.

Bien que le réalisateur se soit justifié sur ce fait, on regrettera les plans sur les paysages de la Louisiane, très rares, comme les Bayous, qui auraient rajouté du mystère au film. De même, les plans sur les trailers park, où habite la famille déchirée, auraient gagné à être un peu plus exploités. Mais ceci n'a que trop peu d'importance, car l'on sort de la salle intrigués, avide de recherches personnelles, pour essayer de comprendre de nous même ce personnage énigmatique.
Un beau film qui mérite d'être vu.

"Interview" Marc-André Grondin.
C'est par surprise que j'ai rencontré Marc-André Grondin dans la rue, alors qu'il s'allumait tranquillement une cigarette sur le trottoir quelques heures avant l'avant-première. Bien décidée à lui poser toutes mes questions, je suis allée à sa rencontre, et il m'a très gentiment accordé son temps (je l'en remercie encore si par hasard il passait par là). Mon portable m'a cependant trahi et je n'ai pas pu enregistrer ses réponses comme je l'avais souhaité, mais je vais tâcher de vous résumer ses paroles:
Pour commencer, quelques questions sur son envie de travailler dans le film, la manière dont il a travaillé son rôle, etc...; Marc-André Grondin a été séduit par ce rôle assez noir, très différent des personnages qu'il avait déjà interprété. (cf C.R.A.Z.Y., Le Premier Jour Du Reste De Ta Vie, Bouquet Final, Bus Palladium, Che …) C'est donc ce côté “un peu flippant” et aussi le fait que ce personnage existe et qu'il s'agit ici d'une partie de sa vie qui l'ont avant tout intéressé. Afin de travailler ce rôle, il s'est beaucoup renseigné sur le véritable Frédéric Bourdin, par le biais de multiples recherches internet, il a lu “probablement tous les articles, vu toutes les vidéos et interviews” , afin de presque le connaitre sans jamais l'avoir rencontré. En effet il a décidé de ne pas le rencontrer afin de “garder une distance assez intelligente entre le vrai personnage et celui du film”, afin que le spectateur puisse “suivre davantage la trame narrative”, et poser une certaine limite, sans être “attachant”. Il ajoute que Frédéric Bourdin n'est “pas quelqu'un de très accessible”, et qu'il est très difficile pour le public d'être embarqué dans l'histoire, de suivre son raisonnement. Ce n'est pas un monstre, mais ce n'est pas non plus un héros, Marc-André Grondin a donc préféré garder une certaine distance pour trouver sa propre interprétation du personnage sans avoir une position biaisée. Pour ma question quant à une éventuelle appréhension de ce que penserait Frédéric Bourdin de son interprétation, il répond que “oui et non”; une petite plaisanterie sur le fait que de toute façon le 24 il était dans l'avion pour le Canada, puis il déclare plus sérieusement que ce n'est pas “un type dangereux, pas un tueur en série” et l'acteur affirme ensuite n'avoir “aucune pression”. “J'espère bien qu'il va apprécier le film, on a pas mal collé à la version du scénario qu'il a lu. Je crois pas qu'il va avoir d'énormes surprises, mais en même temps c'est normal; c'est une partie de sa vie. Je crois que Frédéric est quelqu'un d'imprévisible, donc on n'sait jamais... j'pense que ça fait partie du truc!” Étant passionnée de langues étrangères, je me suis sentie obligée de lui poser une question sur son tout premier rôle en anglais: ( “Étant Québécois, pour interpréter Raphaël dans Le Premier Jour Du Reste De Ta Vie, vous avez du prendre l'accent français; Ici, c'est la première fois que vous tournez en anglais, et c'est pour jouer un français...Un nouveau Challenge?”) “C'est marrant on me pose toujours des questions sur mon accent” a-t-il d'abord déclaré. Il affirme ensuite que l'on peut en effet considérer ça comme un challenge, car c'était une situation assez compliquée: il est évidement parfaitement bilingue mais a du prendre l'accent français lorsqu'il parle anglais dans le film, sans non plus en faire trop.
Je pense avoir résumé le plus gros de ses propos, et j'espère ne rien avoir déformé !
NB: Pour les intéressés, rendez-vous au Cinéma Des Cinéastes (Métro Place Clichy) le Vendredi 25 Juin: Projection du film à 20H suivie d'un débat en présence de Jean-Paul Salomé, Bertrand Tavernier, Costas-Gravas, Janine Lorente, autour du thème "L'expérience américaine de cinéastes français". Sympathique!
3+ Heath